30 Avril 2015

Un peu de vulgarisation : le lanceur

Présentation détaillée du fonctionnement d'un lanceur

Comment ça marche... un lanceur ?

Les poètes ont été les premiers à imaginer un moyen de quitter la Terre : ailes d'oiseaux, carrosses tirés par des chevaux, vols d'oies sauvages : des idées qui rivalisent d’originalité.

Au XVIIème, les écrivains émettent des idées de propulsion déjà beaucoup plus précises et techniques. Cyrano de Bergerac rêve d'une sphère remplie de fumée et d'un véhicule « mû par des feux successifs de salpêtre », étrange prototype de nos fusées actuelles.

Jules Verne porte le roman scientifique à son apogée, poussant le réalisme jusqu’à faire vérifier ses calculs de trajectoires. L'histoire de 3 spationautes catapultés non loin de Cap Canaveral en Floride augurait alors les prémices de la conquête spatiale avec un siècle d'avance.

Et Tintin ?

Si ARIANE n’a pas osé emprunter le damier rouge et blanc à Hergé, elle s’en est néanmoins inspirée.

Le professeur Tournesol s’était sans doute bien renseigné auprès des spécialistes du monde réel, car indiscutablement, Tintin a précédé Neil Armstrong sur la Lune.

La fusée moderne s’est nourrie de plusieurs siècles d’imagination. Capable de mettre en orbite des satellites artificiels, elle apparaît en 1957 en ex-URSS, un an plus tard aux Etats-Unis, et en 1965 en France.

Son rôle : transporter une charge au-delà de l'atmosphère avec une vitesse suffisante pour la mettre en orbite autour de la Terre ou l'envoyer dans les confins de l'espace. Rêve d’hier, réalité d’aujourd’hui : le lanceur est né.

Jargon

Question de nuances…
Au terme fusée, qui appartient au langage courant, le langage spatial préfère le mot lanceur, sous-entendu de satellites. Le terme fusée est par ailleurs souvent utilisé pour désigner un propulseur à réaction, ou moteur-fusée, de faible puissance.

 Défier l'attraction terrestre

Pour avancer, le rameur s’appuie sur l’eau, l’oiseau sur l’air. Mais comment se déplacer dans le vide de l’espace, sans support physique ? En 1883, le Russe Konstantin Tsiolkovski remédie à ce problème en imaginant un moteur-fusée capable de créer sa propre force motrice, aussi bien dans l’atmosphère que dans le vide spatial.

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Le simple fait d'éjecter vivement des projectiles suffit, à condition que le frottement du véhicule sue le sol soit faible, à créer un déplacement. Dans un moteur-fusée, les projectiles sont des molécules gazeuses éjectées à grande vitesse et en grande quantité.
Conception : Jean-Pierre Penot (CNES) et Bernard Nicolas, illustration : Bernard Nicolas

Le saviez-vous ?

La 3ème loi de Newton
« A toute action correspond une réaction égale et en sens opposé. » C’est le principe de l’action et de la réaction découvert par Newton, qui s’illustre facilement avec l’exemple du rameur : à l’action des rames, l’eau réagit en sens inverse et fait avancer la barque.
Mathématicien, physicien et astronome, Isaac Newton (1642 – 1727) a notamment jeté les bases de la mécanique et permis les développements ultérieurs de cette science.



La propulsion par réaction est ainsi l’unique moyen actuel de voyager dans l’espace. Son fonctionnement repose sur un phénomène naturel énoncé par Newton, appelé principe de l’action et de la réaction.

Le moteur éjecte à très grande vitesse d’importantes quantités de gaz dans une direction donnée. Par réaction à la masse de gaz ainsi générée, le lanceur est propulsé dans la direction opposée. La force délivrée s’appelle la poussée, qui doit au minimum être supérieure au poids du lanceur.

jargon

La poussée
L’unité de mesure de la force propulsive générée par les moteurs, appelée poussée, est le Newton (N). Exprimer la poussée en tonnes est incorrect, bien que fréquemment utilisé. Cela correspond en fait à la masse que cette force peut soulever.
Astuce : Pour interpréter la valeur d’une force mesurée en kN, il suffit de diviser ce nombre par 10 pour obtenir à peu près la masse correspondante en tonnes. Ainsi, une force de 650 kN correspond à une masse d’environ 65 t.

La plupart des lanceurs actuels ne servent qu’une seule fois, puisque aucun élément n’est récupéré. Ils sont dits consommables, par opposition aux lanceurs entièrement ou partiellement réutilisables comme par exemple les navettes américaines.

Une fusée-citerne

Pour des raisons d'efficacité, les lanceurs sont constitués de plusieurs étages propulsifs, qui entrent tour à tour en action.

En se débarrassant progressivement des étages, inutiles dès que ses réservoirs sont vides, le lanceur est considérablement allégé et peut augmenter sa vitesse. Cette condition est nécessaire pour contrecarrer l'attraction terrestre et éviter que le lanceur ne retombe.

Un lanceur a une forme cylindrique ; il comprend entre 2 et 4 étages qui renferment les volumineux réservoirs. Le 1er étage est souvent flanqué de propulseurs d'appoints, destinés à augmenter la poussée au décollage.

Cette simplicité de conception est en revanche complexe d'un point de vue pratique, puisqu'un lanceur multiétage doit nécessairement comporter plusieurs moteurs, au moins un par étage.

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Cycle de vol du lanceur ARIANE 5, du lancement à la mise en orbite. CNES/ill.D.DUCROS,1999

Cycle de vol du lanceur ARIANE 5, du lancement à la mise en orbite. CNES/ill.D.DUCROS,1999

La coiffe permet de protéger la charge utile des frottements de l’air pendant la traversée de l’atmosphère. En cas de lancement double, les deux satellites sont assemblés par une structure porteuse.

Enfin, le « cerveau » du lanceur, contenu dans une case à équipements, rassemble tous les équipements électroniques nécessaires au pilotage et au guidage automatique du lanceur. Il commande le fonctionnement et l’orientation des moteurs, la séparation des étages, le largage de la coiffe et envoie également les informations au sol permettant aux ingénieurs de suivre l’évolution de la mission.

Ariane 5 ECA en quelques chiffres

Masse totale au décollage

Masse de la charge utile

Masse totale en ergols

Poussée du moteur principal (Vulcain) au décollage

Poussée combinée des 2 accélérateurs à poudre (EAP)

Hauteur totale

775 t

9,4 t

650 t

116 t

1 370 t

53 m                                                                            

La propulsion

 Pour fournir la force propulsive, les moteurs convertissent l’énergie dégagée par les réactions chimiques entre les ergols. Les gaz produits passent dans une tuyère où ils sont accélérés puis sont éjectés. Deux types d’ergols sont plus fréquemment utilisés.

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Conception : Jean-Pierre Penot (CNES) et Bernard Nicolas, illustration : Bernard Nicolas

Conception : Jean-Pierre Penot (CNES) et Bernard Nicolas, illustration : Bernard Nicolas

 Les ergols liquides sont soit stockables soit cryotechniques. Stockables, leurs composés se conservent facilement à température ambiante. Ils s’enflamment spontanément dès que combustibles et comburants se rencontrent, facilitant ainsi l’allumage des moteurs.

Cryotechniques, leur stockage est très compliqué. Souvent constitués d’hydrogène et d’oxygène liquides, ils doivent être conservés à très basse température. Leur manipulation est donc très délicate, les matériaux utilisés sont limités. L’hydrogène étant de plus très peu dense, les réservoirs doivent être volumineux et les turbopompes puissantes pour obtenir les pressions et débits voulus.
En contrepartie, ils sont très performants : ils génèrent des gaz très chauds, éjectés 50% plus vite qu’avec d’autres ergols, permettant ainsi un gain de consommation.

Le saviez-vous ?

L’oxygène et l’hydrogène en chiffres
L’oxygène (O) se liquéfie à –182,96°C. Au-delà, il est sous sa forme gazeuse que nous connaissons bien. On le trouve notamment dans l’air et dans l’eau, et joue un rôle prédominant dans la combustion. En masse, il représente 8/9 de l’eau et la moitié de la croûte terrestre !
L’hydrogène (H) quant à lui se liquéfie à –252,87°C. C’est l’élément le plus abondant dans l’Univers. Extrêmement léger, il pèse 70 g par litre. Par comparaison, 1litre d’eau pèse 1 kg !

Dans le cas des lanceurs, les réactions chimiques sont aujourd’hui le seul moyen d’obtenir une poussée suffisante. Encore à l’étude, le moteur combiné propose d’utiliser l’oxygène présent dans l’atmosphère et permettrait de ce fait d’alléger la masse d’ergols embarquée, au détriment d’une complexité accrue.

Quant aux autres technologies envisagées, leur faible poussée peut s’avérer efficace pour les manœuvres orbitales et le contrôle des satellites, mais ne permet en aucun cas à un lanceur de venir à bout de l’attraction terrestre.

De l'assemblage au décompte final

Si la fabrication d’un lanceur est géographiquement très dispersée, les opérations finales sont centralisées au sein de la base de lancement. Elle comprend un pas de tir, des salles de contrôle, des sites d’assemblage, des centres techniques et des moyens de transfert.

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Après avoir été assemblé en zone de préparation dans le hall d'assemblage (au fond), le lanceur Ariane est transféré en zone de lancement.
Crédit : CNES

Assemblage d'ARIANE 5. Crédits : CNES/ESA/Arianespace

Véritables « ports d’attache », les sites choisis correspondent à des impératifs technologiques et politiques. Parmi les facteurs à prendre en compte, on note :

les conditions de sécurité pour les populations voisines. Au cours d’un lancement, il y a émission de grandes quantités de gaz, chutes successives des différents étages du lanceur et risque de destruction de l’appareil ;

  • la situation en latitude : plus la base est proche de l’équateur, plus le bénéfice issu de la vitesse de rotation de la Terre est important.
  • Le lancement d’une fusée nécessite des opérations préliminaires regroupées au sein de la campagne de lancement, dont la durée, de l’ordre d’1 mois, est fonction de la complexité de la mission.

Au cours de la préparation et l’assemblage, les différents étages sont assemblés les uns aux autres. Dans le cas d’ARIANE, le lanceur est transporté verticalement, sans coiffe, jusqu’au pas de tir. Les satellites, préparés et remplis de leurs propres ergols, sont ensuite encapsulés dans la coiffe et hissés au sommet du lanceur.


Ergoliers lors du remplissage d'un satellite au Centre spatial guyanais. Crédits : CNES/ESA/Arianespace

La répétition générale, destinée à tester le fonctionnement de tous les systèmes, est suivie du remplissage en ergols stockables la veille et en fluides cryotechniques quelques heures avant le décollage. Les ultimes vérifications sont effectuées au cours du compte à rebours final, appelé séquence synchronisée, qui n’aboutit au décollage que si tout est nominal.

Le lancement


La salle de contrôle Jupiter au Centre spatial guyanais. Crédits : ESA/CNES/Arianespace - S. Corvaja

A l’issue de la séquence synchronisée, d’une durée de quelques minutes, le lanceur décolle du pas de tir. La réussite de la mission dépend avant tout de quelques conditions indispensables.

En premier lieu, il est nécessaire de bien choisir la fenêtre de tir, c’est-à-dire la période de temps pendant laquelle il est le plus facile de placer le satellite en orbite. Ce choix dépend de la rotation de la Terre et de la position de la base de lancement par rapport au plan de l’orbite d’injection.

Contrairement à une idée répandue, l’accélération doit être progressive : un lancement trop violent risquerait d’endommager la charge utile. De plus, la satellisation n’est pas une question d’altitude, c’est pourquoi une impulsion verticale ne suffit pas. Pour se mettre en orbite, un objet a également besoin d’une vitesse horizontale.

Le lanceur commence par monter verticalement pour sortir le plus tôt possible des couches denses de l’atmosphère. En effet, la résistance de l’air, à de très grandes vitesses, est insurmontable. Le 1er étage, le plus gros, emporte donc tout le lanceur et lui fait gagner le vide spatial avant que sa vitesse ne soit trop importante. L’altitude visée est d’environ 200 km.

Le lanceur adopte ensuite progressivement une trajectoire horizontale. Le gaz violemment expulsé permet au lanceur d’atteindre une vitesse considérable, d’au moins 28 000 km/h. A ce stade, la coiffe, devenue inutile, est larguée.

Au cours des dernières minutes de vol, le lanceur ne gagne plus d’altitude. Lorsque la vitesse souhaitée est atteinte, le moteur est éteint et le lanceur libère la charge utile en lui communiquant sa vitesse. Le satellite utilise désormais ses propres ressources. « Fin de mission lanceur ».

Durant toute la durée de la mission, l’évolution du lanceur est suivie au sol par la base de lancement, mais également par d’autres stations de poursuite en fonction de la trajectoire choisie.

Le saviez-vous ?

Le lanceur ne fait pas tout
Selon la mission, lorsque le satellite se sépare du lanceur, il n’est pas encore sur son orbite définitive.
Les opérations de mise à poste, contrôlées depuis le sol, lui permettent de se positionner correctement sur son orbite. Il dispose ainsi de moyens de propulsions propres, qui lui permettent également d’effectuer des manœuvres et de corriger sa trajectoire si nécessaire.

Les ingénieurs sont renseignés par la télémesure que le lanceur diffuse automatiquement.

Séquence de vol d'Ariane 5 *

Temps    

Evénement    

Altitude (km)    Vitesse (m/s)    

H0Allumage du 1er étage cryotechnique00
H0 + 7 sAllumage des étages d'accélération à poudre (EAP)00
H0 + 7,3 sDécollage00
H0 + 2 min 22 sSéparation des EAP662 065
H0 + 3 min 16 sLargage de la coiffe1062 320
H0 + 9 min 36 sExtinction du moteur Vulcain1457 778
H0 + 9 min 42 sSéparation du 1er étage1477 787
H0 + 9 min 48 sAllumage du 2ème étage1517 793
H0 + 26 min 33 sExtinction du 2ème étage1 6648 557
H0 + 29 min 49 sSéparation du 1er satellite2 3128 119
H0 + 32 min 54 sSéparation de la structure porteuse Sylda2 9967 700
H0 + 37 min 00 sSéparation du 2ème satellite3 9687 169
H0 + 53 min 28 sFin de mission lanceur8 0245 499

* Cette séquence est un exemple de séquence nominale pour la mise en orbite de transfert géostationnaire de deux satellites par Ariane  5 dans sa version générique.


Voir aussi

Approfondir