11 Mars 2015

Réveil de Philae : « nous sommes raisonnablement optimistes »

Du 12 au 20 mars, l’orbiteur de la mission Rosetta va tenter de communiquer plusieurs fois par jour avec Philae pour voir si celui-ci s’est réveillé. Que peut-on attendre de ces tentatives et comment l’atterrisseur devrait-il redémarrer ? Nous faisons le point avec Philippe Gaudon, chef de projet Rosetta au CNES.

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Sur cette image obtenue avec la caméra OSIRIS-NAC le 13 décembre 2014 à 20 km du centre du noyau de 67P, l’ellipse rouge indique la zone où doit se situer Philae. Crédits : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA.

Quelle est l'atmosphère au SONC, le Science Operation & Navigation Center installé dans les locaux du CNES à Toulouse qui est chargé de la préparation et du suivi des opérations scientifiques de Philae, comment vous préparez-vous à un possible réveil de Philae ?

Philippe Gaudon : « Dans un 1er temps, c’est essentiellement une charge du centre de contrôle de Cologne, puisque ce que nous allons guetter c’est le réveil de la plateforme de Philae, nous n’en sommes pas encore à essayer de réaliser de la science avec les instruments de l’atterrisseur. Par contre, ici au SONC, nous allons recevoir toutes les données collectées par l’orbiteur en parallèle avec le centre de contrôle, et nous saurons simultanément si le contact est établi, si Philae se porte bien : prise de température, prise de tension nous donneront une bonne idée de l'état de l’atterrisseur. Beaucoup d'autres paramètres seront aussi vérifiés et nous pourrons dire si Philae est en bonne forme ou en légère ou sévère hypothermie. »

Quand vont commencer les tentatives de communications entre l’orbiteur et l’atterrisseur ?

PG : « Elles vont commencer le jeudi 12 mars entre 2 h et 6 h du matin et il y aura normalement 2 créneaux de 4 h chaque jour jusqu’au 20 mars. »

Pourquoi maintenant plutôt qu’il y a 15 jours ou dans un mois ?

PG : « Parce que maintenant il y a simultanéité entre 2 paramètres essentiels : d’une part, un bon placement de Rosetta par rapport à Philae, ou plus exactement, par rapport à la zone du noyau où nous pensons que Philae se situe puisque, malgré toutes nos tentatives, nous n’avons pas encore réussi à localiser précisément l’atterrisseur après son arrivée mouvementée sur le noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko ; d’autre part, sur cette même zone, les conditions d’ensoleillement sont normalement favorables pour l’atterrisseur. »

Est-ce qu’il y a des limitations pour ces recherches au niveau de l’orbiteur ?

PG : « Le système de télécommunications est composé de 2 antennes installées sur l’orbiteur et de 2 autres sur l’atterrisseur. Il a été fourni par le CNES et il a parfaitement fonctionné en novembre lors de l’atterrissage chaotique et de la 1ere séquence scientifique. Il a, en outre, l’avantage de consommer très peu d’énergie en réception. Comme l’énergie reçue devrait être correcte en mars, nous allons tenter notre chance. S’il ne se passe rien durant cette 1ere fenêtre, nous essayerons de nouveau en avril, avec des conditions d’ensoleillement qui se seront encore améliorées. »

Quelles sont les 1eres étapes de la séquence de réveil de Philae ?

PG : « Tout d’abord, il faut que la température interne de Philae soit supérieure à -45 °C environ, donc il faut que les panneaux solaires et l’absorbeur thermique délivrent suffisamment d’énergie pour que l’atterrisseur se réchauffe. Ensuite, si l’énergie disponible continue d’augmenter, il y a un démarrage automatique de "l’électronique de vol" de Philae. Son cerveau étant réveillé, si l’énergie qu’il mesure est suffisante, il commande l’allumage des récepteurs de Philae. À partir de là, Philae sera capable de recevoir des commandes via l’orbiteur, mais il ne sera pas encore capable d’accuser réception de ces commandes et de renvoyer des données. Donc, il pourrait y avoir une période durant laquelle Philae serait actif sans que nous le sachions. »

Pour faire face à cette éventualité, est-ce qu’il y a un lot de commandes déjà préparé et prêt à être envoyé ?

PG : « Oui, le Centre de contrôle de Cologne a un lot de commandes prêt à partir qui change la séquence qui avait été prévue à l’origine. Normalement, dans le cas où les panneaux solaires délivreraient une énergie suffisante après son réveil, Philae devait commencer à charger sa batterie et les instruments scientifiques devaient attendre qu’elle soit suffisamment pleine pour commencer à fonctionner. Mais les nouvelles instructions sont de ne pas recharger la batterie secondaire, mais plutôt de continuer à chauffer la partie centrale et d’utiliser toute l’énergie disponible en plus pour faire fonctionner des instruments en direct. La conséquence, c’est que Philae ne pourrait utiliser ses instruments scientifiques que lorsque ses panneaux solaires seraient éclairés. Les données seraient alors chargées en mémoire et récupérées par l’orbiteur lors de la fenêtre de visibilité suivante. »

Quelles seront les activités les plus importantes à réaliser dans un 1er temps ?

PG : « Ce que nous savons, c’est que si Philae a suffisamment d’énergie pour se réveiller, il n’en aura probablement pas beaucoup en plus, et il n’en aura que de jour puisque nous n’utiliserons pas la batterie au début. Donc, l’idée est de lui faire réaliser des petites activités scientifiques qui ne demandent pas beaucoup d’énergie, mais de façon régulière. Par exemple, faire de la prise de température avec MUPUS. »

Est-ce que l’équipe de Mécanique spatiale du SONC pourra préciser la localisation de Philae en fonction des données d’ensoleillement des panneaux solaires ?

PG : « Si le transmetteur de Philae nous renvoie des données précises sur l’évolution de l’ensoleillement de chacun des panneaux solaires, nous pourrons effectivement améliorer la localisation de l’atterrisseur. Nous pourrons aussi recaler le cycle de communication avec Philae et mieux prévoir quand il pourra communiquer avec l’orbiteur. »

Et dans un 2e temps, si l’énergie délivrée par les panneaux solaires de Philae continue d’augmenter, la batterie sera mise en charge ?
PG
: « Oui, c’est ce que nous espérons, et nous pourrions alors commencer une activité scientifique plus soutenue. »

Mais ce n’est pas pour tout de suite, pour le moment on espère simplement que Philae va se réveiller ?

PG : « Peut-être que nous avons été trop pessimistes dans nos prévisions et que l’ensoleillement est déjà suffisant. Nous n’avions que 1h30 d’ensoleillement par jour en novembre et il nous en faudrait 4 fois plus pour pouvoir faire fonctionner Philae correctement. Entre novembre et maintenant nous avons déjà gagné un facteur 2 en puissance par rapport à la proximité au Soleil. C’est déjà important, mais, normalement, ce n’est pas encore suffisant pour faire fonctionner Philae de façon nominale. Comme nous ne connaissons pas précisément la localisation de Philae, il est possible d’envisager que la durée d’ensoleillement des panneaux solaires a, elle aussi, augmentée. Si la durée d’ensoleillement a doublé, si elle est passée à 3h, le facteur 4 est peut-être déjà atteint. Nous ne connaissons pas l’orientation et la hauteur des rochers ou des falaises qui semblent emprisonner Philae et qui la plongent partiellement dans l’ombre, donc la probabilité est faible, mais elle n’est pas nulle. »

Dans les équipes de la mission Rosetta, notamment celles qui s’occupent plus particulièrement de Philae, pensez-vous que l’électronique de Philae a pu supporter les température extrêmement basses auxquelles elle a vraisemblablement été confrontée depuis novembre ?

PG : « Franchement, personne n’est pessimiste. Que ce soit au SONC, au DLR en Allemagne ou chez nos collègues hongrois qui sont responsables de l’électronique de vol de Philae, il n’y a personne pour dire que quelque chose de grave se serait produit si l’électronique était descendue a des températures très basses, ce qui est probablement le cas étant donnée la position de Philae. En tout cas, il est certain que les températures sont descendues en dessous de la qualification des matériels ! Nous sommes bien conscients que nous ne nous trouvons pas dans un cas de figure normal et que l’électronique de Philae n’a pas été conçue pour résister à de telles conditions, donc nous ne pouvons pas affirmer que nous sommes sûrs que Philae va se réveiller et fonctionner correctement, mais nous sommes raisonnablement optimistes. »

 Rosetta est une mission de l’ESA avec des contributions de ses États membres et de la NASA. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, est fourni par un consortium dirigé par le DLR, le MPS, le CNES et l'ASI. Rosetta est la 1ère mission dans l'histoire à se mettre en orbite autour d’une comète, à l’escorter autour du Soleil, et à déployer un atterrisseur à sa surface.