8 Juin 2020

Océans : quand le climat fait grimper le niveau

Les océans jouent un rôle primordial dans notre subsistance. Grâce aux données spatiales, nous sommes en mesure de mieux comprendre leur fonctionnement et leur évolution. Et les prévisions annoncées par le dernier rapport du GIEC ne sont pas de très bon augure…

 

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Vue aérienne des icebergs en Antarctique Crédits : redtea

Les chiffres sont éloquents sur la place des océans sur notre planète et au sein de nos sociétés. Approximativement 70 % de la surface de la Terre est recouverte par l'océan. Plus de 60 % de la population mondiale vit dans la grande zone côtière, ce qui représente 3,8 milliards de personnes résidant à moins de 150 km du rivage, et qui dépendent des ressources alimentaires et des protéines qu’il fournit. Enfin, l’océan se trouve au cœur du système climatique planétaire puisqu’il absorbe plus de 25 % du CO2 émis chaque année par l’Homme et fournit 50 % de l’oxygène produit sur Terre. Autant dire que les océans méritent notre attention !

Depuis près de 30 ans, les satellites altimétriques constituent l'un des outils privilégiés pour les observer. Le CNES a développé une expertise mondialement reconnue dans ce domaine avec le lancement de Topex-Poseidon en 1992, suivi des missions Jason et Sentinel. Ces observations par satellite, complémentaires de celles obtenues par marégraphie, offrent 2 avantages majeurs : l’observation quasi globale de l’ensemble du domaine océanique, avec un temps de revisite de quelques jours seulement, et une mesure « absolue » du niveau de la mer (sans contamination par les mouvements verticaux de la croûte terrestre). Les données récoltées, traitées par le CNES, CLS et le LEGOS, et utilisées notamment dans le dernier rapport du GIEC, ont ainsi pu mettre en évidence une hausse globale du niveau des océans depuis 28 ans.

Le rapport du GIEC sur les Océans et la Cryosphère

Fruit d'une collaboration internationale de près de 180 scientifiques issus de plus de 87 pays, le Rapport Spécial sur l’Océan et la Cryosphère, publié en septembre 2019, évalue les processus physiques et les impacts des changements climatiques sur les écosystèmes océaniques, côtiers, polaires et de montagne.

Benoit Meyssignac, chercheur au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS) et au CNES, a participé à la rédaction de ce rapport, qui résume l’ensemble des recherches mondiales sur ce sujet.

« Depuis 2014, on observe que le niveau de la mer augmente rapidement, de l’ordre de 3,6 mm/an à l'échelle du globe. Il y a deux facteurs à cela : d’un côté, la chaleur augmente en raison du déséquilibre énergétique en haut de l’atmosphère. Les océans absorbent ainsi 90% de l’excédent de chaleur dû aux gaz à effet de serre. Sous l’effet de la dilatation thermique, l’océan plus chaud prend aussi plus de place et fait monter le niveau de la mer. Le deuxième facteur, et celui qui compte le plus dans cette hausse, c’est la fonte des glaciers – calotte polaire et glaciers de montagne – liée à la hausse de la température de l’atmosphère. » Par exemple, depuis 2006, les calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland ont perdu en moyenne 430 milliards de tonnes chaque année. 

2 scénarios, 1 même tendance à la hausse

Dans le rapport du GIEC, 4 scénarios d’émission de gaz à effet de serre (GES) servent de base aux projections sur la hausse du niveau des océans. Ces scénarios donnent un éventail des futurs émissions possibles de gaz à effet de serre.

Dans le cas du scénario 1 et d’une réduction drastique des émissions de GES (en suivant les recommandations de la COP21 par exemple), le niveau des océans monterait de 43 cm d’ici à 2100.

Dans le cas du scénario 4 et d’une situation sans aucune réduction des GES, cette hausse atteindrait 84 cm d’ici à 2100 et potentiellement 1,10 m selon les modèles pessimistes.
« Mais quel que soit le scénario retenu, le niveau des océans restera élevé pendant des millénaires, » précise Benoit Meyssignac.
Pourquoi ? Parce que le système climatique a une grande inertie de réponse. « L’océan met des milliers d’années à absorber les GES et la chaleur dûe au déséquilibre radiatif causé par les gaz à effet de serre. Même si on arrêtait d’émettre des GES aujourd’hui, l’océan mettrait encore longtemps à absorber le surplus. Et les calottes polaires, elles aussi, sont dans une dynamique très lente ».

Le scientifique va même plus loin : « même si on enlevait le surplus de GES de l’atmosphère, ce qui est technologiquement impossible aujourd’hui, le système climatique continuerait de répondre sur des milliers d’années à cause des changements enclenchés dans la circulation océanique et dans la cryosphère. »

Le phénomène est donc irréversible et l’eau va continuer de monter. Mais toutes les simulations montrent qu’il est d’autant moins intense et moins rapide que l’on diminue les émissions de GES. La grande question qui demeure est : dans quelles proportions après 2100 l’eau va t’elle monter ? En effet, au-delà de 2100, les modèles concernant les prévisions d’augmentation sont peu fiables car ils intègrent mal un certain nombre de facteurs aggravants, pour l’instant difficilement quantifiables, comme le comportement de calotte polaire ou le dégel du permafrost.

La perte de masse de l'Antarctique, un facteur aggravant

Dans le dernier rapport du GIEC, les projections liées à la perte de masse de l’Antarctique ont été mises à jour, notamment grâce à l’étude d’un phénomène mieux compris aujourd’hui : le Marine IceSheet Instability (l’instabilité des langues de glaces).

« Il s’agit d’un processus fine échelle entre l’océan et la calotte. L’océan plus chaud va faire fondre les langues de glace de la calotte qui s’érodent et se cassent plus rapidement, accélérant ainsi l’écoulement de la glace dans les bassins Antarctique et dans l’océan. »

Ce phénomène a pu être pris en compte dans les modélisations des scientifiques. « Si on part sur un scénario de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, les effets de ce phénomène se quantifieraient à une hausse de quelques centimètres supplémentaires des océans en 2100. Si on part sur un scénario sans réduction drastique de GES, le Marine Icesheet Instability pourrait contribuer à une hausse de plusieurs dizaines de centimètres des océans d’ici 2100. »

Ces projections pourraient être aggravées par d’autres phénomènes, encore mal compris, non modélisés et sur lesquels il n’y a pas de consensus parmi la communauté scientifique, mais qui pourraient eux aussi accélérer la perte de masse de l’Antarctique. « Un climat significativement plus chaud ouvrirait la voie à ce type de processus générant de nouvelles instabilités. »

Parmi ces phénomènes, on peut en citer 2 :

  • Le Ice Cliff Instability, « qu’on observe au Groenland mais pas encore en Antarctique. Lorsque les langues de glace fondent en surface, l’eau ruisselle et percole à travers la glace. Cette eau regèle en hiver et fait ainsi casser les langues de glace très en amont des glaciers, ce qui accélère leur écoulement vers la mer ».
  • La rétroaction de la glace de mer. En fondant, les glaciers de l’Antarctique génèrent de grandes quantités d’eau douce qui viennent s’accumuler à la surface de l’océan (l’eau douce étant moins dense que l’eau salée). « Cette accumulation d’eau douce en surface va « isoler » la partie plus profonde et plus chaude de l’océan. La conséquence directe est que cela augmente la quantité de chaleur amenée par l’océan sous les langues glacières et accélère la fonte sous glaciaire et donc l’écoulement des langues dans la mer. »

Hausse des océans : des impacts à de multiples échelles

La hausse du niveau des océans a de multiples répercussions, à la fois sur les communautés côtières et les écosystèmes côtiers : érosion des côtes, submersions permanentes et lors des évènements extrêmes, perte des mangroves, salinisation des aquifères côtiers, perte de terres cultivables, etc.

L’une des conséquences notables sera l’augmentation de la fréquence des événements extrêmes de niveau de la mer. Prenons l’exemple de la tempête Xynthia, avec une surcote de ~1,5 m à la Rochelle au moment le plus intense de la tempête. Dans le futur, si le niveau de l’océan augmente d’1m, il suffira d’une petite tempête avec une surcote de 50 cm, qui sont bien plus communes et fréquentes, que des tempêtes comme Xynthia, pour atteindre le même niveau qu’une tempête exceptionnelle. Conclusion : « si on suit le pire scénario en 2100, on aura tous les ans des niveaux extrêmes de la mer, équivalents aux niveaux extrêmes que nous expérimentons aujourd’hui seulement une fois par siècle. »

Le rapport s’interroge également sur l’exposition et la vulnérabilité des villes côtières. L’élévation du niveau de la mer est une préoccupation majeure pour les zones côtières où vit 27% de la population et où se trouvent la moitié des mégapoles du monde, comme Tokyo, Shangai, Calcutta, Mumbai, Jakarta, Le Caire, New York, Rio de Janeiro, Buenos Aires, etc. Les nombreuses petites îles de l’océan Pacifique et de l’océan Indien, sont elles aussi en première ligne. Déjà touchées par l’érosion, elles sont menacées par la submersion. C’est notamment le cas des Maldives. Si le niveau des océans montait de plus d’un mètre, elles disparaitraient complètement.

« Le rapport pointe les grandes disparités de risques qui existent dans le monde, la capacité à s’adapter des zones côtières habitées étant intrinsèquement liée au niveau de richesse. »

 Les mégalopoles pourront gérer d’ici 2100 tous les scénarios en se protégeant derrière des digues par exemple. A l’inverse, les zones pauvres seront abandonnées, avec potentiellement 140 millions de réfugiés climatiques dans le monde entier selon le rapport du GIEC,

conclut Benoit Meyssignac.

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